LE SON, C’EST QUOI ? ep01
Le son relève apparemment de l’évidence. Notre intuition nous pousse à définir cette vibration comme acquise, sans réellement se poser de question sur son essence. Pourtant omniprésent, le son est doté de phénomènes multiples, il est présent au quotidien créant nos environnements, ambiances, paysages sonores.
Pour partir à la compréhension de notre environnement sonore, Octave laisse place aux réflexions qui ont engendré une attention particulière aux sons qui nous entourent dans une série d’articles, accompagnée d’intervenants spécialisés dans leur domaine, de la philosophie, à l’anthropologie en passant par les neurosciences.
Pour introduire cette réflexion, nous avons rencontré Jean-Paul Thibaud, sociologue de formation, chercheur aux Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESON) à Grenoble et directeur de recherche au CNRS. Dévoué à plusieurs domaines de recherche, Jean Paul-Thibaud s’est notamment consacré à l’étude des théories des ambiances urbaines, à la perception ordinaire en milieu urbain et à l’Anthropologie du sonore.
Nous avons discuté avec lui, de ce qu’était le son, de sa puissance et de son rôle dans la création d’ambiance.
Le son, c’est quoi ?
Un son, c’est une vibration qui se matérialise d’un point de vue acoustique, qui donne l’objet d’une expérience. C’est quelque chose qui est entendu, sinon écouté. Une vibration plus ou mois complexe qui se caractérise par des phénomènes particuliers.
Perdu ou senti, un son n’est donc jamais seul, il est la conséquence d’une action, d’un événement causé par des choses physiques et matérielles, mais finalement, qu’est-ce que peut un son ?
Une question à la Deleuze… Et bien un son, peut beaucoup de choses. Beaucoup, beaucoup de choses. Il suffit de regarder les usages qu’on en fait. Il peut transporter, enchanter grâce à la musique, mais aussi pour torturer. De cette manière, le son peut-être lié à des affects positifs ou négatifs très forts. Il a une puissance d’imprégnation et de transformation de l’expérience. Le son peut avoir un aspect très fonctionnel, c’est-à-dire qu’il permet de faire face à son environnement, de comprendre face à quelle situation on fait face.
Dans une dimension pathique, il peut nous faire entrer en empathie avec notre environnement, avec le milieu sonore qu’il constitue.
Selon Murray Schafer, nous sommes compositeurs de la symphonie de ce monde, nous pouvons choisir de mettre plus de bruit, plus de douceur. Sommes nous décisionnaires de l’ambiance sonore qui nous entoure ?
La vie elle-même est sonore. Elle enrobe des choses qui nous échappent dans les sons qui sont produits, mais en même temps nous avons la capacité de se focaliser ou de gommer des éléments sonores, à les filtrer. À savoir aussi que nous sommes nous-même producteurs de l’environnement sonore dans lequel nous vivons. Nous produisons du son, nous sommes acteurs de notre environnement sonore. Nous pouvons donc aménager notre espace, jouer sur notre environnement dans des actions très quotidiennes. Je peux choisir d’enlever la clim, d’ouvrir la fenêtre, de mettre un casque, d’écouter de la musique…
Il y a donc plusieurs types d’implications à la création d’environnement sonore. Et la musique a son rôle à jouer dans la capacité des sons à faire ambiance. Considérant la musique comme art des sons, elle s’inscrit dans nos milieux sonores. Comment s’articule-t-elle avec l’environnement dans lequel elle est diffusée ?
La musique a cette capacité à participer à des rituels, cérémonies. Elle porte une dimension qui pousse à mettre en commun, à partager l’expérience. Elle a une aussi dimension performative, la musique produit, accomplit des choses. Elle a une dimension sociale assez forte.
Quand la musique s’introduit dans un environnement sonore, il est question d’un effet de masque. En produisant un environnement musical, celui-ci fait masque à d’autres productions sonores. Erik Satie s’y était déjà essayé avec sa Musique d’ameublement. Une musique qui a pour objectif de « meubler », décorer le silence d’un environnement ou d’une activité quotidienne. Une musique qui ne réclame pas d’être écoutée, mais seulement d’être entendue.
On observe la tendance d’une forme de musicalisation de nos environnements, une forme d’esthétisation des espaces, ce que le monde contemporain tend à produire. La détermination de nos ambiances a- t-elle un impact dans les rapports entre les hommes ?
Le son a des capacités plus subtiles, qui consistent à imprégner des conduites, des comportements, des situations. C’est-à-dire ne pas être au premier plan, mais jouer sur une capacité à donner le ton à des situations. Le son et la musique sont plutôt là comme une condition en arrière-plan, tout en conservant une capacité à transformer l’expérience, à mettre dans certaines dispositions affectives, à favoriser des échanges ou au contraire les limiter. Voilà, cela représente des choses qui sont beaucoup plus fines et beaucoup plus diffuses, et c’est justement ce caractère diffus qui est très lié à l’ambiance. Je pense que le son est un médium vraiment important pour ça, pour faire l’ambiance.
La musique est pensée comme faisant partie d’un ensemble sensoriel, doté d’une capacité à donner le ton, à imprégner et jouer sur les manières d’être collectives. Ce constat sur le son ouvre une porte complémentaire à l’étude du visuel. Nos sens sont-ils plus sensibles aux sons ou à la lumière ?
Dans les deux cas, on est enveloppé par le son et la lumière. Je pense que dans le son, il y a une grande capacité à mettre en vibration des corps, c’est-à-dire qu’il y a une question de porosité du corps aux sons, qu’on ne retrouve pas dans la lumière. Je peux entendre des sons qui viennent de très loin, qui traversent des murs, qui me traversent moi, qui me font vibrer, bouger. Dans le son la dimension pathique est extrêmement puissante. Il a une capacité très forte à mettre dans des dispositions affectives. Peut-être même plus que la lumière ou la vision.
Enfin pensez-vous que le monde de demain peut sonner différemment ?
Le monde n’arrête pas de changer de sonorité. Il le fait déjà. On en parle d’ailleurs beaucoup ces derniers mois : le silence des villes, la reprise en son de la nature… Donc oui, je pense qu’il va y avoir des transformations de nature écologique qui vont beaucoup marquer la consommation de notre paysage sonore, et peut être aussi donner plus de crédit aux sons qui ne sont pas des sons humains, le retour du vivant, du monde vivant et pas seulement de l’humain. Je pense qu’à part entière le son est un révélateur, mais aussi un symptôme de l’écologie qui est en train de se transformer. Donc oui, il se transforme déjà, maintenant, et continue sur les décennies qui viennent.
Pour en savoir plus :
Alfred tomatis – L’OREILLE ET LA VOIX
Gillo Dorfles – L’INTERVAL PERDU
Peter Sloterdijk – SPHERE – GLOBE