L’ONDE SONORE, C’EST QUOI ?| ep04
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Pour continuer notre exploration autour du son, nous avons rencontré Laurent de Wilde. Pianiste de Jazz, compositeur, producteur et écrivain français, c’est notamment l’auteur de Les Fous du son :
“Qui a pu être assez fou pour avoir eu un jour l’idée de faire de la musique avec de l’électricité ?”
C’est la question qui l’a animé. Tout comme d’autres interrogations concernant le son, sa matière, sa beauté. Passionnée, cette rencontre est une invitation à la curiosité, d’un survol sur l’histoire du son à la promesse d’une aventure sonore du quotidien.
L’ONDE SONORE, C’EST QUOI ?
Alors, la notion d’onde sonore est apparue à la fin du 19e siècle, où l’on découvrait que tout était ondulatoire. On découvrait les ondes électromagnétiques qui allaient pouvoir servir de transporteur aux ondes sonores. On savait déjà beaucoup de choses sur la voix, sur le son en général, mais ça fait peu de temps que l’humanité et ces scientifiques se sont posé la question du phénomène physique du son. Quand on voit la simplicité du phénomène de la gravure du son, je n’explique toujours pas la raison aujourd’hui. Alors évidemment, les idées géniales sont géniales parce qu’on se dit : « Pourquoi on n’y a t’on pas pensé avant ? ». Dans le domaine, je suis très étonné qu’il ait fallu attendre 1850 pour voir le son sur du papier et les premières tentatives d’écrire le son.
En même temps Edison et Charles Cros inventent le phonographe. Ce sont des objets qui ont une mécanique extrêmement simple, c’est-à-dire que les ondes sonores se synthétisent dans les membranes qui font vibrer une petite aiguille et en dessous, nous avons un support pour accueillir ce mouvement. Quand on le grave et qu’on le rejoue : le miracle se reproduit à l’envers ! C’est un miracle absolu que tous les DJs ont découvert en branchant leur casque sur la prise micro.
Le phénomène sonore est totalement réversible, et qu’on ne s’y est pas rendu compte avant 1850- 1880 est pour moi un immense mystère. J’ai posé la question à de nombreux chercheurs et un astrophysicien m’a répondu : « Écoute, il fallait qu’on s’habitue au concept d’ondes avant de pouvoir maîtriser tout ça » et pour nous les ondes sont une réalité, ça fait partie de notre langage quotidien « les bonnes ondes, les bad vibes » tout ça.
Pour nous, c’est un élément constitutif de l’univers physique et mental, qui est d’une évidence totale. Ce sont des choses qu’on a l’impression d’avoir toujours su. Alors que ça fait à peine 130 ans qu’on pense en termes d’ondes.
Donc l’onde sonore, c’est la plus visible, la plus audible. Quand on vous dit que la lumière est une onde « ouais ok ». Quand on vous dit la radio c’est des ondes « ouais ok ». Tandis que l’onde sonore… Le simple fait de parler devant ma main et de sentir le souffle et quand j’écoute de la musique et qui il y a une bonne infrabasse là sur mon système et que je sens vraiment le vent qui me fait bouger les cheveux, je me dis que l’onde sonore est la porte d’entrée à tout ce mystère environnant !
L’onde sonore,
c’est la plus visible,
la plus audible
TU PEUX NOUS EN DIRE PLUS QUE LA RENCONTRE ENTRE L’ÉLECTRICITÉ ET LE SON ? COMME TU LE PRÉCISES DANS TON LIVRE LES FOUS DU SON, » TOUT POURRAIT COMMENCER AVEC EDISON. DÉJÀ, DANS SON NOM, IL Y A UN SON. ET SI ON LE PRONONCE À L’AMÉRICAINE, ÇA SONNE. ET DISSONE. »
Thomas Edison invente le phonographe - Breveté le 19 décembre 1877.
Ah Edison, il était sourd comme un pot Edison !
C’est finalement un cas assez à part. Effectivement, c’est un inventeur, qui a même inventé le métier d’inventeur. Avant, on donnait ses découvertes à la science, ou à tel duc, telle reine… La recherche scientifique était souvent sponsorisée, mais quand Edison arrive, on change de paradigme ! C’est le business. On a du mal à se rendre compte que tous les paradigmes scientifiques ont été inventés à cette époque : le cinéma, la radio, le téléphone, l’aéroplane… Tout ça c’est notre quotidien !
Depuis, la seule chose qui a bouleversé notre quotidien, c’est l’internet, mais tout ce sur quoi nous vivons aujourd’hui a été inventé pendant ces années. Il faut se rendre compte de l’effervescence intellectuelle de cette époque, chaque semaine une nouvelle découverte arrive et donc comme on était dans une mentalité de business ça attirait plein d’investisseurs. C’est la logique de l’époque. Et donc Edison, il a très vite compris qu’en se tenant à jour de toute l’actualité scientifique, il y avait des mines d’or à trouver. Il s’est décidé qu’il allait inventer des choses à partir de toute cette matière scientifique, qui déboule tous les jours de façon révolutionnaire.
Donc, effectivement lui, le phonographe, il n’a pas véritablement compris ce qu’il inventait à ce moment-là. Dans les usages qu’il avait déposés pour son brevet, il est inscrit que c’est une espèce de gros dictaphone pour les hommes d’affaires, ils pouvaient dicter leur courrier à leur secrétaire grâce au phonographe. Il y a toute une liste d’utilisations qu’il va pouvoir être faite avec le phonographe et enregistrer de la musique n’arrive qu’en 5e position.
Mais la plupart des travaux des inventeurs qui sont arrivés après sont beaucoup plus intéressés par le son, et ce que je dis dans mon bouquin, c’est que les inventeurs sont compris dans un triangle où les pointes sont l’art, la science et les affaires. Edison, c’était les sciences et les affaires, mais un gars comme Theremin, qui invente cette instrument absolument génial et éponyme (qui fonctionne avec des ondes radios), lui s’était aussi un inventeur qui avait pour ambition d’être millionnaire, il a inventé les rayons x, les altimètres pour les avions, etc, mais c’était aussi un musicien !
C’étaient des gens qui avaient un véritable amour avec la matière avec laquelle il travaillait. Et après ça, c’est toujours pareil, c’est quand on cherche le sucre qu’on trouve le beurre. C’est le destin des inventeurs, mais plus on avance dans le 20e plus la recherche va vraiment être calibrée sur les résultats qu’on veut atteindre jusqu’à la numérisation du son ! Tout ça par des gens qui avaient un véritable amour pour leur matière première : le son.
Léon Theremin et son invention.
DE L’AMOUR, DU TEMPS ET UN PEU D’ARGENT DONC.
L’invention fondamentale dans le son moderne, c’est la radio, les ondes électromagnétiques. Après ça, il y eut des conséquences très importantes et partout. Pour l’instrumentation (theremin) mais également, c’est en cherchant sur les lampes (CF : Louis de forest, inventeur de la triode), une façon de faire un oscillateur, un instrument électronique capable de fournir un scintillement très rapides, bien au delà du spectre sonore, dans cette recherche, on a trouvé une façon d’amplifier le signal. Et ça indépendamment de la radio et indépendamment de la musique électronique, on va avoir, progressivement, des signaux beaucoup plus riche par rapport au phonographe entièrement mécanique.
L’électricité a été connue comme un auxiliaire, c’est devenu un porteur d’ondes sonores. C’est un mécanisme mental important : grâce à l’électricité, on peut maîtriser le signal, on peut l’envoyer à 10000 km… L’électricité rend les signaux sonores beaucoup plus universels et quantifiables.
Après ça, il y a une deuxième révolution dans l’histoire du son qui arrive a là fin des années 40, c’est la bande magnétique. C’est le champ magnétique créé par le son qui va pouvoir se retrouver, non pas sur un disque, mais sur une bande. On est hors de la restitution du son par un phénomène physique simple, là, on est dans une restitution électronique. Le son devient quelque chose qu’on peut tenir entre ses doigts, on peut le passer à l’endroit, à l’envers, on peut le couper. Le son devient une matière électronique abstraite. La bande magnétique devient un support. Ce sera d’ailleurs le support qui va permettre à l’informatique de se développer et d’inventer la numérisation du son grâce à l’ordinateur.
Tout ça pour dire que l’électricité perfuse toutes ses innovations de façon constante, mais à chaque fois de façon différente. Le fait que le son soit une onde électronique et électrique pousse à la consternation. C’est une matière infiniment malléable.
« je pense qu’on a fait le tour des sons singuliers à entendre, mais ce qui reste explorer c’est la combinaison de ces sons a l’infini »
LA RENCONTRE AVEC L’ÉLECTRONIQUE À TRANSFORMÉ LA MUSIQUE ET SES USAGES, COMMENT QUALIFIERAIS-TU LA PRODUCTION SONORE AUJOURD’HUI ?
On est à un moment où nous sommes quasiment submergés de son et il ne faut jamais oublier que le secret est dans l’agencement, dans la combinaison. La musique qu’est ce que c’est ? C’est l’agencement raisonné de son. On prend des sons, on les met dans un certain ordre et quand on les met dans cet ordre-là ça produit un tel effet émotionnel. À tous ceux qui découvrent ce monde, je leur dis : “ jetez-vous avec liberté, mais avec comme boussole qu’il n’y aura jamais rien de nouveau sous le soleil, le nouveau, c’est la façon dont vous allez bricoler cet agencement.”
À la fin des années 80, il y a eu une bascule de l’analogique vers le numérique, et c’est clair que dans un premier temps, tout ce qui est arrivé en numérique était une copie numérique de l’analogique. Les logiciels de musique étaient comme les consoles d’enregistrement. On copiait sur un écran tout ce qui était dans la vraie vie. Plus on avance, plus je pense que la numérisation du son va se rapprocher quasiment à la perfection du signal analogique. Le véritable enjeu, c’est qu’auparavant, tant qu’on était en analogique, quand on voulait un son de synthé, on achetait un synthé. Maintenant, on achète un ordi et des échantillons. Tout est concentré en 2 dimensions. La plupart des outils proposés sont des copies de son analogique. Je pense que de ce côté-là, il commence a émergé un certain nombre d’expériences sur le son, des façons d’approcher la granularité du son, qui va, j’espère, s’éloigner de la copie pure et simple.
Le problème également, c’est qu’à partir du moment où toute cette production de son est concentrée sur deux dimensions, sur un écran, et bien la création est devenue beaucoup plus difficile. On a envie de jouer de l’ordi, le vrai enjeu, c’est avec quel contrôleur va jouer à l’ordi.
Il y a dans cette création sonore une infinie possibilité, mais on sait tous que ce qu’il y a de marrant dans la musique, c’est d’être dedans quoi, ce que je veux dire, d’avoir la sensation de conduire la musique, et même si ce sont des machines qui joue.
Le vrai enjeu aujourd’hui, c’est découvrir une façon universelle, de jouer de ces contrôleurs, d’avoir un cadre matériel à l’expression musicale. La musique ça vient de la tête, du bide, et du cœur. Il faut pouvoir tutoyer, j’oubliais les jambes, et les fesses, le bassin et en dessous. Il faut que tous puissent vivre ensemble pour que la musique soit vécue à fond. S’il n’y a pas ça, il manque un truc. Ce qui est important c’est de pouvoir vivre soi-même cette émotions, de faire de la musique en temps réel, et de pouvoir la transmettre aux autres.
LES COURANTS DE MUSIQUE S’APPROPRIENT LES FORMATS DISPONIBLES, AVEC L’ÉVOLUTIONNISME TECHNOLOGIQUE, TOUT LE MONDE PEUT COMPOSER DE LA MUSIQUE AVEC SON ORDINATEUR ET LA CONSOMMER, CE QUI CHANGE DU 45TOURS ETC.
QUE PENSES-TU DE L’ÈRE DU NUMÉRIQUE ET DE LA CRÉATION MUSICALE ?
Le numérique nous pose plein de questions. Comment le jouer ? Par définition, ce qui nous interroge est bénéfique. Je sais qu’en tant que musiciens, j’ai découvert le son très tardivement. J’étais pianiste de jazz à New York, je faisais attention au son de mon piano, mais j’ai attendu mon 5e disque pour comprendre ce qu’il passait de l’autre côté de la vitre en studio. L’ingénieur du son n’entendait pas des notes, mais des fréquences, des spectres, des choses que je ne connaissais pas.
L’ingénieur son, m’a dit « les percus, tu veux les panner comment ? ». Il m’aurait dit escalopes ça aurait été là même chose. Je ne m’étais jamais posé la question une seconde. C’est à partir de ce moment que je me suis posé la question. Dans les années 90, j’ai joué avec des groupes dans la musique électronique, reggae, plus groovy, à ce moment, je suis rentré dans une logique du son, plus de notes. J’ai compris qu’on n’entend pas des notes, mais des sons.
TU AS RENCONTRÉ LE JAZZ TRÈS TÔT. QU’EST QUE ÇA A CHANGÉ AU QUOTIDIEN ?
Ma rencontre avec le jazz, c’est tout bête. Un disque d’Oscar Peterson, et je me suis dit : “C’est la plus belle musique du monde. Je n’arrive pas à croire que ça existe. Je veux en faire.” C’est un amour qui ne s’est jamais asséché. Il y a une dizaine d’années, j’ai été en Georgie, j’ai vu, à Tbilissi, un mec de 12 ans qui jouait comme Keith Jarrett. Pas techniquement, mais l’esprit, sa façon de jouer de la musique, de comprendre les codes. C’est un truc mystique, le jazz quoi, ça lui est tombé du ciel et ça nous tombe du ciel.
À partir de là, j’ai tiré le fil de mes envies, il se trouve que je suis né en 1960 donc j’ai vécu toute la bascule de l’acoustique à l’électrique. Le Herbie Hancock que j’aimais sur les disques, sur scène, c’était en électrique. Tout ça c’était un présent. Puis j’ai vu la transition au numérique. C’est en partie pour ça que j’ai écrit les fous du son. Pour moi, ça a été une aventure sonore qui a imprégné chaque journée. C’est une aventure sonore du quotidien et ça continue encore aujourd’hui comme la discussion que nous avons !
ET POUR FINIR, QU’AURAIS TU À DIRE SUR LES ARTISTES JAZZ QUI UTILISENT DE PLUS EN PLUS DE SONORITÉS ÉLECTRONIQUES DANS LEUR COMPOSITION ?
Super les gars ! Continuez ! J’arrive !