CES LIEUX SANS DIFFUSION DE MUSIQUE
Temps de lecture : 6 minutes
NAGE À CONTRE COURANT
Et si l’on prenait à contre-courant ce pour quoi nous existons aujourd’hui ?
À la genèse d’OCTAVE, il y a ce désir d’emmener l’audio vers les entreprises pour démontrer sa véritable valeur ajoutée ; que ce soit par l’intermédiaire d’une identité sonore, d’une webradio, d’un podcast ou tout autre projet en lien avec la création de sons.
Par le biais de radios digitalisées, nous concoctons des playlists sur mesure pour des marques diverses, qui vont les diffuser à longueur de journée, aussi bien sur leur site web qu’au sein de leurs établissements.
Nonobstant, notre champ des possibles n’est pas infini et il fut intéressant et amusant d’établir une liste de lieux qui ne se prêtent pas vraiment à la diffusion de musique. Des endroits où les mots « sonorisation » et « mauvais goût » nageraient de concert dans le même bassin.
Le musée
Travailler sur un projet de playlist sur mesure pour un musée pourrait être sacrément stimulant pour notre équipe !
Après tout, un musée se construit pour accueillir des œuvres d’art en tout genre : peintures, photographies, dessins, installations, sculptures, vidéos… Alors pourquoi des productions musicales ne viendraient-elles pas aussi se mêler à la danse ?
S’il est plutôt courant d’observer des casques audio à disposition des visiteurs pour se plonger un peu plus dans l’exposition du moment, il est plus rare d’y trouver du son diffusé librement. De petites salles annexes qui diffusent des courts-métrages sont les seuls exemples que nous pouvons citer. Mais là encore, l’audio est intrinsèquement relié à une réalisation cinématographique.
Diffuser de la musique au sein d’un musée durant les heures d’ouverture pourrait être LA fausse bonne idée.
L’échantillon musical viendrait se mêler à l’œuvre picturale sans accord de l’artiste. Nous assisterions alors à une vision exposant/exposé complètement biaisée. La perception que l’on a d’un objet d’art pourrait muer en fonction de l’environnement sonore du lieu. Il faudrait idéalement que le peintre lui-même soit curateur d’une playlist le temps de son exposition.
De plus, les musées contiennent généralement plusieurs œuvres d’artistes différents, avec des vernissages à thèmes, ce qui sous-entendrait plusieurs playlists. Autant de sélections musicales que d’artistes, que de thèmes !
Si les espaces sont mal insonorisés, une cacophonie rendrait l’expérience on ne peut plus confuse et désagréable.
La rue
Quelle serait votre réaction si vous découvriez dans votre boîte aux lettres un courrier vous qui vous annonce la diffusion d’une webradio musicale dans les rues de votre ville ? Après tout, cela pourrait adoucir les mœurs, rendre cet Amat de foule moins angoissant.
Oui, mais non. Mis à part pour certaines zones commerciales à ciel ouvert, diffuser de la musique dans la rue pourrait dans un premier temps nuire au voisinage proche.
La population hétéroclite des villes ne permet pas non plus de concevoir une playlist dite « sur-mesure », tant les sensibilités de chacun sont différentes. En outre, proposer des musiques populaires comme sur les plus grandes radios nationales n’aurait que peu de sens.
Alors notre équipe pourrait se plier aux exigences de telle ou telle municipalité, mais c’est un énorme pari que d’imposer une esthétique précise à ses habitants et ses visiteurs.
N’oublions pas non plus que cela pousserait vers la sortie les artistes de rue qui sont parfois très talentueux et qui font partie intégrante de l’animation des espaces publics.
L’hôpital
À première vue, cela pourrait s’apparenter à une bonne idée. La musique comme thérapie est quelque chose qui est étudié depuis plusieurs années. Les effets apaisants de certaines mélodies ont été prouvés.
Le fait est que la musicothérapie serait davantage adaptée pour les patients qui souffrent de troubles psychiques, neurologiques, sensoriels. Cela exclurait une grande partie des patients d’un hôpital.
Il existe des chaînes YouTube très populaires qui diffusent, sur des playlists de plusieurs heures, des musiques relaxantes dites « de guérison ». Ces dernières, souvent régies par des idéaux théologiques, sont plus directement corrélées à une diminution du taux de cortisol chez l’auditeur durant une écoute prolongée, qui va favoriser l’apaisement. La musicothérapie étant un sujet très vaste et passionnant, il fera peut-être l’objet d’un futur article.
En milieu hospitalier, prendre en considération l’avis du personnel soignant est capital si une stratégie de diffusion de webradio devait se dessiner. Seraient-ils en accord avec cette démarche ? Si oui, quels sont leurs besoins ? Une sélection plutôt énergique pour égayer leurs journées, ou tantôt calme pour les apaiser et faciliter leur concentration ? Comment concilier les besoins des malades et des infirmiers ? Vous comprenez-là les difficultés auxquelles on pourrait se heurter.
Il revient aussi au mérite de citer l’Association Musique & Santé qui, au chevet des patients, intervient pour organiser concerts et ateliers.
Est-ce donc une si mauvaise idée que ça que de diffuser de la musique au sein d’un hôpital ? Et bien, on est mitigés.
Pour la grande majorité des patients, calme et silence sont synonymes de répit. Si on souhaite de la musique, il y a la télé à disposition. D’ailleurs, quelques webradios conçues par des centres hospitaliers disponibles pour les souffrants existent déjà. Une superbe initiative, mais qui manque souvent d’un soupçon de fantaisie et d’originalité au regard de la programmation.
Une chanson imposée, à la manière d’une sélection de radio, que l’on n’apprécie pas, peut aller de pair avec ce sentiment d’inconfort du lit d’hôpital et gêner la convalescence. Il suffit de faire le parallèle avec les salles d’attente de médecins généralistes. Lorsque de la musique y est diffusée, cela fait rarement l’unanimité, surtout quand une migraine nous frappe de plein fouet, et que les mélodies se mêlent aux toussotements et éternuements de nos voisins.
Il sera donc difficile de satisfaire tout un chacun, d’autant plus que l’hôpital est un endroit fréquenté par TOUT type d’âges. Nous n’avons pas affaire ici à un « cœur de cible » clair.
Dans un monde idéal, de superbes alternatives peuvent s’envisager comme la diffusion de musique relaxante sur demande ou la création de pièces sonorisées immersives pour les patients longs séjours qui souhaiteraient un moment d’évasion.
Les établissements scolaires
De l’école maternelle jusqu’aux bancs de la fac, les établissements scolaires sont généralement équipés de systèmes de diffusion de son (kermesse, représentations diverses, sonnerie)
Au vu de la fréquentation, il pourrait être aisé d’imaginer des playlists en fonction de chaque tranche d’âge, tout en essayant de plaire à la majorité. C’est au cours de sa jeunesse que l’on se forge sa culture musicale. Cela pourrait aussi être l’occasion de rendre ces banques de sons participatives et d’investir un peu plus les élèves dans le dynamisme de leur école. Après tout, écouter de la musique durant ses heures de pause donnerait une nouvelle dimension à l’expérience vécue.
Mais vous comprenez assez vite que la mise en application se heurte à plusieurs difficultés.
À moins de réserver une pièce isolée à cet effet, comme le font parfois certains lycées, cela viendrait perturber les besoins de calme et de concentration nécessaires aux élèves pour écouter leur professeur, réfléchir durant des examens et réviser leurs leçons.
N’entendez ne seraient-ce que quelques décibels du son en question dans la salle de classe et c’est la distraction assurée ! La maxime de Joubert « L’erreur agite, la vérité repose » est ici pleine de sens. 😉
Une nouvelle fois, on remarque avec cet exemple que la musique n’est pas totalement exclue : en témoignent les cours de musique dispensés au collège, ainsi que le cadre associatif des études supérieures où cette activité peut-être un réel vecteur de socialisation.
Les transports en commun
Quel(s) style(s) de musique diffuser ? Comment satisfaire tout le monde ? Comment éviter le côté « cringe » de l’expérience usager ? Ces problématiques essentielles, on se les pose quotidiennement chez Octave.
Dans ce cas de figure, l’idéal serait de trouver le genre qui viendrait estomper le côté anxiogène caractéristique des transports en commun.
Et pour plaire au tout-venant, hors de question de faire appel aux radios nationales populaires. Ce n’est de toute manière pas dans notre ADN.
Le choix des morceaux devra être adapté au moyen de mobilité en question. Keolis n’aura sans doute pas les mêmes besoins qu’Air France ou que la SNCF.
Dans l’avion, on est plus enclin au sommeil. Dans le tram, moins. Le train se situerait dans l’entre deux. Alors que le bus de ville, à l’extrême opposé de l’avion.
En guise d’exemple, la société de transport en commun de la ville de Berlin procède actuellement à une phase de test en diffusant de la musique classique dans certaines de ses stations en partenariat avec la radio Klassik. Dans quel objectif ? Observer comment cette diffusion est accueillie et s’intègre dans chacune des stations. Si cette opération s’avère être une réussite, le projet pourrait être prolongé et étendu.
Ce n’est pas un premier coup d’essai puisqu’à la fin des années 90, la ville de Newcastle, en Angleterre, diffusait de la musique dans les bouches de métro dans le but de réduire le taux de criminalité de la ville.
Récemment, en France, Transpole (Lille) a mandaté un groupe local pour jouer dans le tramway de la ville. Nous n’avons pas trouvé de résultat de sondage qui prouverait que cette opération eut été concluante. On imagine que si cela avait été le cas, ils auraient renouvelé l’expérience.
Le choix du genre classique pour la ville de Berlin est assez judicieux. De nombreux artistes de renom allemands peuvent y être représentés, et, par réputation, les Berlinois sont connus pour leur ouverture d’esprit.
Il me semble important de souligner qu’en France, nous avons Espace Metro Accords. Cette structure auditionne des artistes qui souhaitent être accrédités pour jouer dans les stations. La musique dans le métro n’est donc pas diffusée via enceintes, mais est quand même en grande partie encadrée.
Le tribunal
Peut-être un des lieux de mauvais goût par excellence ? Pour y diffuser de la musique, j’entends.
Imaginez seulement être à la tête d’une webradio destinée au tribunal judiciaire de La Rochelle. Complexe, non ? Probablement le cas qui nous donnerait le plus de fil à retordre parmi les différents cas cités dans l’article.
De manière générale, les lieux où on prend la parole, où cette dernière est écoutée avec attention, mettre un fond musical est de mauvais augure.
Il n’y aurait pour ainsi dire pas vraiment de style qui se prêterait au jeu. L’importance du poids des mots est telle qu’il ne faudrait pas qu’elle soit obstruée par quelle esthétique musicale que ce soit. Le silence, c’est aussi respecter les décisions de justice, les accusés et les victimes.
La prison
Le lien prison – musique existe bel et bien. C’est un thème abordé de manière assez récurrente dans les couplets de certains rappeurs. Preuve que les artistes peuvent y voir une source d’inspiration.
En 2014, la SACEM a noué un partenariat avec la DISP (Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires) pour favoriser la création de sons et de textes chez les personnes incarcérées. Ces actions sont menées en collaboration avec des célébrités.
En découle une réelle expérience de socialisation qui s’avère bénéfique pour la réinsertion des prisonniers. En travaillant en groupe, ils ont à concilier avec les sensibilités de chacun.
La musique étant souvent vue comme une échappatoire par beaucoup, cela leur permet d’oublier leur condition actuelle le temps d’un instant. Elle a donc sa place en prison quand elle est encadrée.
En revanche, imposer une diffusion de musique dans les cellules, dans les couloirs, ou même dans la cour, on est de suite moins convaincus…
Que faut-il en conclure ?
Qu’on s’accorde entre nous, après argumentation, diffuser de la musique librement dans ces lieux serait une erreur.
Vous n’êtes toujours pas d’accord ? Et bien… C’est une bonne chose.
Dans notre idéal, nous aimerions pouvoir imaginer la sonorisation de n’importe quel type d’environnement ; elle s’adapterait à ses contraintes et respecterait des temps de silence. Un encadrement serait on ne peut plus nécessaire.
Ce sujet d’article impose une ambivalence qui est source de remise en question permanente. En tant qu’agence de création sonore, c’est aussi de notre devoir de pousser la réflexion jusqu’à se demander si tel espace est pertinent ou non pour de la diffusion de playlists.
La plupart des lieux précités ici ne sont pas à vocation commerciale. Cela pousse amène à déduire que, lorsqu’il y a clientèle, la diffusion de musique se fait plus naturellement. Le marketing sonore doit faire partie inhérente du tunnel de conversion des commerces physiques.
Rédaction : Clément LASSERRE